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ILERI-Défense

Russie : quelle lecture de la crise syrienne ?

29 Décembre 2012 , Rédigé par ileridefense Publié dans #Russie-CEI

Les raisons du positionnement de Moscou sur le conflit syrien sont protéiformes. Les hiérarchiser permet d'appréhender avec davantage de nuances l'intransigeance de la diplomatie russe quant à la question syrienne.

Avant toute chose, Moscou reste obsédée par sa quête paritaire avec les États-Unis. Les élites russes demeurent profondément anti-américaines. Craignant plus que tout une érosion de son statut de grande puissance, la Russie s'appuie sur la carte syrienne pour tenter d'opérer un retour stratégique au Moyen-Orient, sur fond de confrontation entre les Occidentaux et l'Iran. Sur cet échiquier, Moscou joue avec de multiples pions : le contentieux nucléaire, le bouclier antimissile de l'OTAN et les routes de l'énergie pour l'Europe.

Ce défi lancé à Washington trouve son prolongement dans l'opposition de Moscou à toute forme d'ingérence étrangère. Or, pour les dirigeants russes, les évènements nés du « printemps arabe » émanent d'un complot ourdi par le « camp sunnite » regroupant les monarchies du Golfe et la Turquie, appuyés par le département d'État américain (i). En mars 2012, la Russie a achevé un cycle électoral particulièrement tendu ; il était hors de question, pour le Kremlin, d'adopter une politique syrienne qui puisse légitimer le « regime change».

Ce positionnement révèle aussi la part d'émotivité d'une diplomatie russe qui croit tenir sa revanche après la « vexation libyenne ». Au printemps 2011, Moscou s'était abstenu au Conseil de Sécurité des Nations Unies, permettant l'adoption de la résolution 1973 et la mise en place d'une zone de protection aérienne par les forces de l'OTAN.

 russie-syrie.pngLes ressorts de la politique russe en Syrie sont également fortement influencés par l'histoire récente du pays. Contenir tout militantisme islamiste a été un fil conducteur de la politique étrangère russe au Moyen-Orient ces dernières années. Pour des élites dont les membres les plus influents sont issus des services de sécurité, le terrorisme d'origine islamique est une constante, de la guerre contre les moudjahiddines afghans dans les années 1980 à la seconde campagne de Tchétchénie (2). Sur la Syrie, les Russes raisonnent en « experts » de l'islamisme radical et sont persuadés qu'un changement de régime enfantera à Damas un pouvoir islamiste et antirusse. D'une certaine manière, Vladimir Poutine recherche un point d'équilibre entre sa politique intérieure et sa politique étrangère : les régions musulmanes de la Fédération de Russie étant parties intégrantes du monde islamique, les événements du Moyen-Orient ont des répercussions en Russie même.

 

Les autres facteurs fréquemment avances pour justifier le soutien de Moscou au régime baasiste demeurent surestimés. Ainsi en est-il du facteur militaro-technique : si, depuis 2005, la Syrie figure parmi les clients les plus importants de l'industrie de défense russe (3), Damas n'a jamais reçu de Moscou ses armements offensifs les plus sophistiqués- il est vrai afin d'éviter de braquer Israël et l'Occident (4). Les facilités navales de la marine russe à Tartous et Lattaquié, loin de constituer des bases de déploiement de forces navales dans la Méditerranée, revêtent une signification plus symbolique que réellement opérationnelle (5). Quant à la diplomatie religieuse de Moscou, qui s'est notamment traduite par une visite à Damas du Patriarche Kirill à l'automne dernier, elle tarde à trouver des résultats à la hauteur de son ambition

 

Le dossier syrien illustre donc la remarquable constance de la politique étrangère russe, qui se positionne sur deux niveaux, entre posture ferme et rhétorique plus conciliante. La priorité de Moscou est de rendre le coût d'un changement de régime à Damas prohibitif aux yeux de l'Occident, de sorte que celui-ci renonce à l'envisager tant en Syrie qu'en Russie. Moscou calcule qu'en Syrie comme en Iran, le statu quo des régimes est tout à son avantage.

La capacité des Russes à orchestrer une transition politique ne convainc pas tout le monde mais elle a fini par apparaître comme le seul recours, en cette année d'élections aux Etats-Unis et de tourments financiers en Europe. L'important pour Vladimir Poutine est d'éviter, en outre, que les Américains, les Saoudiens et les Qataris ne contrôlent la nouvelle Syrie : à Moscou, les gouvernements autoritaires laïcs sont perçus comme la seule alternative réaliste à la domination islamique.

 

La transposition d'une « solution yéménite » à la Syrie, appuyée par Moscou depuis l'automne 2011 et reprise par Washington, a été évoquée. Ce compromis consisterait à imposer une transition concertée entre les différentes parties sans un effondrement des institutions étatiques, tout en offrant une porte de sortie à la famille du chef de l'État. En effet, les Russes souhaitent éviter une « dé-baasification » du régime, à l'instar de l'épuration des cadres du Baas irakien. Moscou veut tout particulièrement préserver l'unité de l'armée, considérée comme garante de l'intégrité territoriale de la Syrie et du respect des différentes communautés. Selon les Russes, c'est avec des généraux qui ne sont pas impliqués dans la répression qu'un dialogue peut s'instaurer.

Enfin, sur le plan régional, l'une des priorités russes est la reconnaissance de l'Iran comme acteur incontournable sur ce dossier. Cette stratégie conforte un certain axe Moscou-Téhéran-Damas, dessinant ainsi un rapport de force régional où, selon la vision russe, le Kremlin et ses appuis chutes feraient face, au Moyen-Orient, à un Occident naïf et aventuriste, solidaire des sunnites, y compris des plus extrémistes.

 

Source : Julien Nacetti – Diplomatie magazine (septembre-octobre 2012)

https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=5&cad=rja&ved=0CFwQFjAE&url=http%3A%2F%2Fwww.ifri.org%2Fdownloads%2F201209051390diplomatiemagazine.pdf&ei=Xn_XUPX5PMiq0QWkkoHoCA&usg=AFQjCNGyknwo2fTps_s9FUyu-ASj2Drt6w&sig2=8sHwE72JjolT1C6StQsNRw&bvm=bv.1355534169,d.d2k )

 

Notes:

(i) « Sina informacionnaâ vojna vnutri rossijskovo prostranstva » [Syrie une guerre de l'information au sein de l'appareil russe], Russki) Vestnk, n" 14, 5 juillet 2012

(2) J Nocetti, « Syrie un infléchissement de Moscou ' », Le Huffington Post, 31 mars 2012

(3) Depuis cette année, les contrats militaires de Moscou avec Damas ont totalisé environ 5,5 milliards de dollars, essentiellement pour moderniser l'armée de l'air et les défenses anti-aériennes syriennes.

(4) Il est connu que la Russie a cessé la livraison prévue de systèmes mobiles de missiles sol-air S-300 à la Syrie.

(s) La base de Tartous n'accueillerait qu'une cinquantaine de marins russes, mal nourris et mal payés, selon un reportage de la chaîne de television russe Vesti Cf FJ Saunders, « Russia's Synan Base A Potemkin Port? », The National Interest, 17 juillet 2012

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