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ILERI-Défense

Quelle sera la voie de l’ours Russe après 2012?

5 Mars 2012 , Rédigé par ileridefense Publié dans #Russie-CEI

À quelques heures du résultat définitif des élections présidentielles de 2012, il ne fait guère de doute que le Premier Ministre Vladimir Vladimirovitch Poutine sera élu au poste de Président de la Fédération de Russie. Seules inconnues réelles : la poussée électorale des opposants et le taux d’abstention.

 

Les récentes élections législatives se sont déroulées début décembre 2011 et ont vu l’érosion du parti présidentiel, Russie Unie (Единая Россия), perdant près de 77 sièges au profit notamment des communistes et du jeune parti Russie Juste (Справедливая Россия) créé en 2006. Il n’est pas improbable que cette usure du pouvoir affecte aussi le candidat de Russie Unie pour des raisons tenant d’une part à une constante électorale que plus on reste dans les hautes sphères du pouvoir plus on prend le risque d’une désaffection, même relative, et ensuite tenant à l’absence d’idée force ou d’évènement conséquent roborant la candidature de Vladimir Poutine. À près de soixante ans, ce dernier demeure néanmoins populaire au sein de la majorité de la population. En revanche, il l’est clairement moins dans les instances internationales où l’on préférait le « libéral » Dmitri Medvedev réputé plus souple lors de négociations. Ce qui au passage n’était qu’un trompe-l’oeil puisque le conflit de 2008 avec la Géorgie et les remontrances au sujet du bouclier antimissile l’ont été de son propre chef.

Ce faisant, la reconduction de Vladimir Poutine pour six ans au poste de Président [1] laisse ouverte de bien légitimes questions.

 

Coopération militaire avec les occidentaux : stop ou encore?

La vente de BPC Mistral par la France dont deux seront construits par les chantiers navals Russes, la construction de blindés Italiens à Voronej et la création d’un centre d’entraînement militaire Allemand près de Nijni Novgorod sembleraient faire accroire que l’entente serait bonne avec les partenaires occidentaux de la Russie. De même que la convergence de vues avec Obama et Medvedev apparaissait toute acquise tant les deux hommes étaient réputés pour être enclins aux concessions mutuelles ce qui permit des avancées notables telles que l’introduction avec la bénédiction des États-Unis de la Fédération de Russie au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce en décembre 2011 ou encore la signature à Prague en avril 2010 du traité START-3, appelé aussi New Start pour bien démontrer l’avancée de ce dernier [2].

 

Et pourtant… Des écueils sont survenus qui tendent à confirmer un raidissement des deux parties en présence. Le premier, et certainement pas le moindre étant le fameux bouclier antimissile, ou ABM pour anti-ballistic missile. L’insistance Américaine, et les décisions des gouvernements Polonais, Roumain comme Tchèque à accepter sur leur sol des éléments de cet ensemble a durablement dressé leurs homologues Russes sur leurs ergots. Le sommet de l’OTAN prévu à Chicago les 20 et 21 mai ne sera pas de tout repos puisque l’objectif d’obtenir un accord global avec ce partenaire oriental a toutes les chances de se heurter d’ores et déjà au niet ferme du sucesseur de Dmitri Medvedev. Ce qui ne serait guère une surprise stratégique puisque Poutine réitéra une position identique durant toute la durée de son mandat de Premier Ministre. Medvedev ayant même confirmé en décembre 2011 qu’il entendait désormais mettre en place un radar opérationnel dans la région de Kaliningrad en 2014 et élaborer un système national de défense balistique à base de missiles Iskander (SS-26 Stone dans la terminologie de l’OTAN). Pourtant, en 2007 avait été avancée par Vladimir Poutine une offre Russe d’employer conjointement le radar de Gabala en Azerbaïdjan à des fins de surveillance du Moyen-Orient, et ce dans un pays réputé proche des intérêts Américains bien qu’issu de l’ancienne Union Soviétique.

Bluff des Américains à l’encontre de leurs rivaux ou réelle intention de bénéficier d’une protection balistique contre l’Iran? Le programme d’Initiative de défense stratégique (Strategic Defense Initiative) plus connu sous l’appellation de Guerre des étoiles lancé par Reagan fut, on le sait de nos jours, une course délibérée pour accélérer la perdition économique de l’Union Soviétique qui n’en put mais. Il n’est pas interdit de penser que cette insistance de mailler le territoire Européen de mesures antimissiles soit peu ou prou dans une optique similaire afin d’affaiblir l’ours. Là où toutefois la logique ne suit plus, sauf à considérer une fuite en avant, c’est la santé chancelante des États-Unis : une dette publique en hausse constante [3] qui n’autorise plus budgétairement des chantiers gargantuesques.

Enfin, un discours de Vladimir Poutine en date du 27 février 2012 donne clairement le ton en fustigeant directement les États-Unis et l’OTAN, insistant sur la confiance trompée (allusion à la résolution 1973 de l’ONU concernant la Lybie dont l’interprétation extensive de celle-ci par les occidentaux aboutit à un soutien aux insurgés puis à la chute du régime de Kadhafi) et sur la couverture du fait humanitaire employé par les occidentaux pour s’ingérer dans les affaires intérieures d’États déstabilisés. Ce discours est utile car il campe bien les idées maîtresses du futur maître du Kremlin : souveraineté nationale, ONU contre OTAN et la relativisation du succès des révolutions Arabes ainsi que du rôle flou de certaines organisations non gouvernementales [4]. Le tout en réitérant son souhait d’établir une union économique du Pacifique à l’Atlantique, et ce faisant d’abroger le système de visas, une vieille antienne…

Tensions avec les voisins orientaux

Les tensions avec la Pologne se sont considérablement apaisées depuis la disparition du Président Lech Kaczyński à Smolensk en avril 2010, un état corroboré par les élections présidentielles ayant vu Bronisław Komorowski arriver au pouvoir, réputé plus consensuel avec ses voisins de l’Est. Un seulement terni par l’arrivée de militaires Américains, et l’acceptation d’accueillir des missiles de type SM-3 sur son sol. De ce point de vue, les relations devraient en rester à du statu quo.

Le bouclier antimissile a en revanche plus durement cristallisé les lignes de fracture avec nombre d’anciens membres du Pacte de Varsovie. Ainsi République Tchèque, Roumanie et Bulgarie ont répondu présents à la présence d’éléments matériels et humains à ce projet. Ce qui n’a pas manqué d’irriter durablement Moscou qui a rappelé combien elle estimait avoir été dupée par l’intégration au sein de l’OTAN d’anciens membres du Pacte et même de l’Union Soviétique (les Pays Baltes), en 2004 [5].

Avec la probable victoire de Vladimir Poutine, nul doute que le ton sera plus ouvertement comminatoire à leur égard. Et ce dernier n’hésitera à peser de tout son poids, notamment énergétique, pour neutraliser les velléités de ces pays à pratiquer une politique anti-russe. Du reste, le contournement du transport gazier déjà effectif par Nord Stream (le deuxième pipeline sera opérationnel avant fin 2012) via la mer Baltique est une volonté nette de ne plus dépendre des circuits traditionnels de transit mais aussi de pouvoir couper le gaz plus facilement aux Européens de l’Est sans mettre en difficulté ses clients de l’Ouest. Et South Stream devrait encore plus accentuer ce risque à leur égard. Il est aisé de souligner que lors des négociations au sein de l’Union Européenne, les États-membres occidentaux furent généralement les soutiens les plus actifs en faveur de la Russie contrairement à leurs homologues orientaux, comme ce fut le cas en septembre 2008 où fut décidé un compromis bancal pour geler le renouvellement de l’APC (Accords de partenariat et de coopération) à la suite du conflit russo-géorgien.

Pacification du Caucase et neutralisation de la Géorgie

Tout comme l’Ukraine, l’ours Russe ces dernières années a montrée crocs et griffes pour que la Géorgie meurtrie par le conflit d’août 2008 n’entre pas dans le Plan d’action pour l’adhesion (Membership Action Plan, MAP), c’est à dire un pays considéré comme candidat sous réserve de répondre à des objectifs d’adhésion à terme. Le sommet de Bucarest en avril 2008 complété par une rencontre en décembre 2008 aboutit à ne pas statuer favorablement à cette demande, laissant la Géorgie dans une situation périlleuse puisqu’ayant perdu une partie conséquente de son matériel militaire moderne, subi un choc psychologique consécutif à cette défaite sans appel et saignée conséquemment du fait du détachement de 20% de ce qui constituait son territoire jusqu’au déclenchement des hostilités. Dans ces conditions, la Russie ne verrait aucun intérêt à modifier sa pression sur ce pays Caucasien tout en continuant à apporter son soutien financier et militaire aux régions détachées. En novembre 2011, Dmitri Medvedev lors d’un allocution énonça qu’outre le fait d’avoir protégé des citoyens Russes (les Ossètes du Sud bénéficiaient de passeports Russes), la résolution du conflit permit aussi de stopper la logique invasive de l’OTAN et de ses partenaires zélés [6].

D’autant qu’elle doit faire face à des mouvements de déstabilisation sporadiques en Tchétchénie comme au Daghestan voisin. Mouvements qui nécessitent de temps à autre des opérations de police souvent sanglantes [7]. S’il est loin le temps où la Tchétchénie était en phase avancée de sécession, la zone reste sous contrôle serré de la part de Moscou. Ce faisant, les services Russes continuent de soupçonner Tbilissi de favoriser l’agitation en cette partie du Caucase Russe en laissant transiter des groupes armés et n’hésitent pas, comme lors de l’attentat dans le métro Moscovite de mars 2010, à pointer du doigt les gorges Géorgiennes de Pankissi comme nid à terroristes.

En outre, en 2014 se dérouleront les Jeux d’Hiver de Sotchi [8], et la Russie aura à coeur de démontrer que même proches de cette zone géographique sensible, résidents et visiteurs peuvent s’y sentir en parfaite sécurité.

Les amis géopolitiques : BRICS, OCS et Turquie

C’est à Ekatérinbourg qu’a été formalisé ce qui n’était qu’une projection théorique des forces économiques en 2050 émanant de la banque Goldman Sachs : en juin 2009 les BRICS, acronyme de Brésil – Russie – Inde – Chine – Afrique du Sud, ont ajouté à leur calendrier une rencontre annuelle. Une prise de conscience de leur force émergente au détriment d’un monde occidental qui peine à conserver ses positions d’antan. Bien que n’ayant pas une portée politique de premier ordre, ces rencontres sont toutefois la possibilité pour la Russie d’approfondir des liens avec des pays qualifiés d’amis. Et dont certaines positions ont été communes, notoirement lors de décisions au sein de l’ONU. Des dissensions existent entre certains partenaires, politiques entre Inde et Chine et économiques entre Brésil et Chine mais une volonté existe de donner une meilleure consistance à ceux qui se considèrent comme une nouvelle avant-garde économique…

Après une année 2009 catastrophique sur le plan économique, la Russie a renoué avec la croissance positive, 4% du PIB, dès 2010. Subissant il est vrai assez conséquemment la méforme de son premier partenaire commercial : l’Union Européenne.

La Chine justement est désormais son premier fournisseur et son troisième client (après les Pays Bas et l’Italie). Un partenariat qui se matérialise aussi dans le cadre de l’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS). Le réglement en 2004 du différend, qui doit beaucoup justement à Vladimir Poutine, de l’île Damansky/Zhenbao sur le fleuve Ousourri a permis de vider un vieil abscès territorial qui provoqua même un conflit d’ampleur limité en 1969. Des contentieux existent, notamment sur la contrefaçon d’appareils Chinois largement inspirés de modèles Russes [9] ou l’approvisionnement de matières premières en provenance d’Asie Centrale, à commencer par le Kazakhstan.

Malgré tout, l’unité qui se dégage lors des réunions au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU atteste d’un positionnement commun qui se retrouve aussi dans le cadre de l’OCS. OCS qui devrait prochainement statuer sur l’entrée de l’Inde qui était jusqu’alors simple membre observateur au même titre que son rival Pakistanais. Une amitié russo-indienne de longue date et qui ne semble aucunement être assombrie par de quelconques nuages, que renforce d’autant le succès du projet d’avion furtif de cinquième génération PAK FA/T-50. Et puisqu’il est question de l’OCS, la Turquie a demandé à son tour de devenir membre à part entière. La Turquie à cheval à la fois en Europe et en Asie partage avec la Russie ce fait géographique particulier ainsi qu’une défiance accrue de pays Européens à son encontre. En sus de partenariats politiques, les coopérations énergétiques se poursuivent entre les deux États [10], le dernier en date étant l’accord sur le nucléaire civil signé en mai 2011 prolongeant à plus grande échelle la construction de la première centrale nucléaire Turque à Akkuyu. Seul hic : comment gérer l’appartenance de la Turquie à l’OTAN et sa future adhésion à l’OCS? Une problématique que devront résoudre les gouvernements en place ces prochaines années mais la demande Turque illustre déjà une évolution sensible du positionnement des autorités d’Ankara à cet égard.

À Strelna, Russie, s’est tenue en novembre 2011 une réunion des membres de l’OCS où a été évoqué un club énergétique des membres de plein droit. Ce qui signifierait que l’Asie Centrale cesserait de devenir en grande partie un champ de bataille pour les ressources au moins entre la Chine et la Russie. Ceci dans un cadre idéal étant encore à déterminer mais l’idée est en l’air et serait à même d’éviter quelques tensions sur le sujet en rationalisant des actions en ce sens. Rappelons que l’OCS ne se caractérise pas uniquement par son volet militaire mais aussi économique, et à ce titre a initié une plate-forme de financement des pays en difficulté qui fut mis à profit lors de la crise financière mondiale pour soutenir principalement les membres d’Asie Centrale en pleine turbulence.

Poutine III : pas de rupture

Le principal avantage de Vladimir Poutine aura été de ne pas s’être mis en retrait des affaires internationales en étant resté Premier Ministre, bien que surtout porté sur les affaires intérieures du pays pour le suivi des projets de développement nationaux. Cette continuité lui aura permis de garder un oeil sur l’ensemble des dossiers d’importance qui lui seront remis une fois sa victoire électorale effective.

Il n’est pas certain que le troisième mandat de Poutine soit foncièrement « musclé », il sera en revanche soutenu sur certains axes intérieurs et extérieurs. Car les forces et les ressources de la Russie devront être en priorité destinées à consolider l’existant et les programmes lancés pour achever de combler le gap des années 90.

Des inconnus demeurent toutefois : l’usure du pouvoir et la lassitude d’une partie de la population à l’égard des élections ; le renouvellement des projets nationaux d’envergure ; l’accentuation de la lutte contre la corruption ; le ratio entre subsides destinés aux projets civils et ceux destinés aux militaires ; la diversification des subsides de l’État autre que la manne de l’extraction/exploitation des ressources fossiles…

D’aucuns annonçant même une « brejnevisation » de la vie politique Russe à venir.

Poutine aura l’avantage d’arriver dans un pays apaisé, qui ne risque pas à court terme de basculer dans une période de troubles civils. Cependant tout en maintenant des positions fermes à l’extérieur dont on connait d’ores et déjà les grandes lignes, c’est surtout à l’intérieur que le futur Président devra avancer sur plusieurs chantiers. Sans quoi il prendra le risque de perdre cette classe moyenne, issue de la fin des années 90 qu’il aura contribué à faire émerger et qui tout en étant soucieuse de la souveraineté de son pays, car volontiers patriote, aura à coeur de bénéficier d’avancées sociales et d’infrastructures remises à neuf. Poutine en grand admirateur du réformateur Piotr Stolypine devra l’imiter à peine de renforcer une opposition intérieure s’enhardissant.

Enfin, un clip de campagne imaginant ce que serait l’avenir de la Russie sans Poutine par le cinéaste Stanislav Govoroukhine…

[1] En novembre 2008 et sur proposition de Dmitri Medvedev, le mandat présidentiel est passé de quatre à six ans, toujours limité cependant à deux mandats successifs.

[2] Les analystes Américains évoquèrent même le reset des relations Américano-Russes.

[3] Selon les données de la Banque Mondiale, 67,4% du PIB en 2009 et le Fonds Monétaire International l’estime pour 2011 à déjà 107%!

[4] Discours traduit sur RIA Novosti : http://fr.rian.ru/discussion/20120227/193517992.html

[5] En mai 2008, le dernier Président du Soviet Suprême, Mikhaïl Gorbatchev, s’entretint avec le quotidien Britannique The Daily Telegraph arguant que le Traité de Moscou de 1990 (appelé aussi Traité quatre plus deux réglant le sort de l’Allemagne post-mur de Berlin) avait été enfreint car il était convenu qu’aucune troupe de l’OTAN ne stationnerait dans un pays de l’Est une fois le retrait des forces Soviétiques effectif : « The Americans promised that Nato wouldn’t move beyond the boundaries of Germany after the Cold War but now half of central and eastern Europe are members, so what happened to their promises? It shows they cannot be trusted. ».

[6] « Если бы в 2008 году мы дрогнули, была бы уже другая геополитическая раскладка, и целый ряд стран, которые пытались искусственно затащить в Североатлантический альянс, скорее всего, были бы там » : discours du Président Medvedev lors d’une visite au commandement militaire de Vladikavkaz en novembre 2011.

[7] Ainsi en février 2012, et selon le Ministère de l’Intérieur, une opération d’envergure aurait causé la perte de 17 policiers, de 24 blessés contre 7 combattants adverses.

[8] La cité Sotchi n’est distante que d’à peine plus de cinq kilomètres de la frontière Abkhaze.

[9] Ce qui fit reculer le gouvernement Russe quant à la vente du chasseur Su-33 à la Chine en 2009. De lourds soupçons pèsent d’ailleurs sur le chasseur furtif J-20 qui aurait bénéficié de l’espionnage économique opéré par les services Chinois pour percer les secrets du F-22 Américain et du Sukhoi T-50 russo-indien.

[10] Poignées de mains par-dessus la mer noire, publié le 9 juin 2010.

MAJ : Vladimir Poutine remporterait l’élection présidentielle avec près de 64% des voix, avec un taux de participation de 65%.

 

 

Yannick Harrel, Cyberstratégie Est-Ouest

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