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ILERI-Défense

L’état Islamique éclipse Al-Qaida

23 Février 2015 , Rédigé par ileridefense Publié dans #note de synthèse

« Vous direz aux médias que c’est Al-Qaïda au Yémen ! », voilà ce qu’un des frères Kouachi lançait à un conducteur en l’éjectant de sa voiture après l’attaque de Charlie hebdo. Al-Qaida, cette nébuleuse qui avait plongé le monde dans l’effroi et la terreur en 2001, s’est vue ces derniers mois déstabilisée par l’irruption d’un groupe encore plus violent, l’Etat Islamique. Ce nouveau titan issue des filiales d’Al-Qaïda, l’EIIL (l’état islamique en Irak et au levant) étant la branche irakienne de l’organisation de Ayman al-Zawahiri (chef d’Al-Qaida), a occupé l’essentiel de l’actualité avec sa conquête du nord de l’Irak, la proclamation du califat et l’exécution des otages occidentaux. En Mai dernier des combats entre les deux groupes sunnites (l’état islamique et le front Al-Nosra, la branche d’Al-Qaida en Syrie) avaient fait près de 90 morts dans la ville de Boukamal, dans l’est du pays. Ces évènements ont conduit à un schisme au sein du djihad global. Mais concrètement, en quoi Daech diffère d’Al-Qaida ? Pourquoi ce groupe terroriste est jugé plus dangereux et plus puissant que son mentor ? Comment Ab bakr al-baghdadi, le calife de l’état islamique, a-t-il su déclencher de tels élans d’ardeur chez les djihadistes européen ? Comment Al-Qaïda a-t-il été relayé au second plan du djihad international ?

Rappelons un postulat simple, l’idéologie des deux entités hormis quelques rares divergences doctrinales reste identique : établir un califat régi par la charia et éradiquer la menace hérétique (celle des croisés et des Juifs). Leur scission est donc due à des facteurs d’ordres politiques et stratégiques. Leurs divergences découlent de ces choix et peuvent donc se résumer en trois points : l’objectif politique, le rapport au djihad, et l’organisation des systèmes internes.

Projet safavide ou lutte contre le grand Satan ?

S’il y a bien une chose que les deux groupes partagent c’est leurs interminables listes d’ennemis. Cependant les priorités d’action de chacun diffèrent selon leurs projets. En effet, suite au départ des troupes Américaines d’Irak, l’état islamique s’est focalisé sur des ennemis locaux propres au monde arabe (les chiites d’irak, les saoudiens, les iraniens …). En clair il s’agit de contrer le projet « Safavide » (al-mashrû' as-safawî), à savoir l’expansionnisme iranien qui a connu un puissant regain suite l’arrivé au pouvoir de Hassan Rohani, retour sur la scène diplomatique moyen orientale favorisé par la nouvelle politique d’Obama. L’Amérique devient un ennemi durement affaibli qui brille par sa perte de leadership dans ses actions : crise des armes chimiques en Syrie, retrait de troupes …

Al-Qaida, quant à elle s’est dès sa création (en 1998 avec « Le Front Islamique Mondial contre les Juifs et les Croisés ») focalisé sur une lutte dématérialisé au niveau mondial contre les intérêts occidentaux et ceci sur leurs territoires.

La question du djihad

C’est sur ce point qu’Al-Qaïda fait figure de « ringard » (selon les paroles de l’expert Romain Caillet) par rapport à l’état islamique. Daech s’est complètement virtualisé et s’est donné une image de firme transnationale vendeuse d’aventures et de libertés auprès des djihadistes occidentaux, asiatiques, tchétchènes … Pour cela l’état islamique se sert d’une arme redoutable mise au point par ses ennemis qu’elle retourne contre eux : internet. Grace à cette vitrine numérique Daech peut exposer son ultra violence en marquant les esprits, mais aussi et surtout recruter ses futurs soldats via des plateformes où sont diffusés des vidéos semblables à des spots publicitaires qui ventent l’action, la puissance et la justice de l’état islamique. De plus, afin de rassurer les potentiels soldats au sujet de leurs intégrations et leurs évolutions professionnelles, l’EI joue sur la proximité identitaire en mettant en scène des combattants étrangers devenus des héros.

Al-Qaida est toujours resté claire sur ses positions face au djihad : les combattants occidentaux acquièrent un intérêt lorsqu’ils agissent sur leurs territoires natals. Les faire venir, même dans le but unique de les former aux maniements des armes et des explosifs, c’est prendre le risque d’enrôler des espions.

« L’état » riche et structuré, et la guérilla d’Al-Qaida

"Il ne s'agit plus de s'en prendre, par la violence, aux ennemis de la religion, mais bien d'exercer le pouvoir sur un territoire donné", souligne Mohamed Ali Adraoui, chercheur à l’Institut universitaire européen de florence. D’un point de vue tactique et symbolique, l’impact de l’instauration du califat de l’EI est énorme. Le groupe peut ainsi revendiquer avoir réalisé une partie de la prophétie coranique en établissant un « Sunnistan libre » où devra se dérouler la bataille finale entre les armées croisés et musulmanes. Suite à la prise de Mossoul en juin dernier, les experts s’accordent sur la capacité qu’a Daech à s’auto-suffire financièrement. En effet, en plus d’y trouver des armes et des équipements militaires (roquettes, blindés, mortiers …), les djihadistes de l’EI ont pu mettre la main sur plus de 400 millions de dollars. S’ajoute à cela les revenus des pillages, des extorsions, de la contrebande du pétrole (près de deux millions de dollars seraient dégagés chaque jour) et du phosphate, des trafics d’armes, des êtres humains, et des œuvres d’arts. Cette stabilité financière rassurent les djihadistes qui voient un état fort capable d’assurer leurs besoins (nourriture, arme, électricité …). "La comparaison qu'il faut avoir en tête, c'est que les attentats du 11-Septembre avaient coûté un demi-million de dollars. Aujourd'hui, on a, quelque part entre la Syrie et l'Irak, un calife de la terreur qui a les moyens de faire mille 11-Septembre", avait conclu Jean-Pierre Filiu, spécialiste du Moyen-Orient. Ainsi puisque l’EI ne se contente pas d’une conquête pure, mais recherche aussi l’administration des territoires occupés, il a développé des structures et formé des fonctionnaires afin de répondre aux besoins de sa population. Résultat : de nombreux services, comme l'eau, l'électricité ou le ramassage des ordures, continuent de fonctionner. L’idée est aussi de pouvoir maintenir une certaine stabilité interne en évitant que des chefs tribaux locaux s’insurgent contre le califat. L’état Islamique ne rassemble donc pas uniquement autour d’une guerre ultra violente mais aussi par la mise en place d’une police, une justice, un système d’imposition sur un territoire défini.

Al-Qaida reste un groupe qui fonctionne clandestinement dans des grottes, des déserts, et depuis un peu moins d’un an dans les zones urbaines. Al-Qaida a misé sur ses nombreuses ramifications (AQMI, le front al Nosra, AQPA au Yémen, les shebabs en somalie …) et sur une guérilla violente. Sa capacité financière, assurée par divers trafics et dons privés, s’élève à une dizaine de millions de dollars ; une poussière quant au deux milliards de dollars que peux dégager l’EI. De plus, Gilles Kepel, spécialiste de l’Islam nous rappelle que « D’un point de vue militaire, Al-Qaïda fonctionne selon un système pyramidal qui accorde peu de responsabilité aux nouveaux combattants, et "où les exécutants sont sacrifiés sans réfléchir", ce qui entretient une certaine limitation des effectifs au sein de l’organisation terroristes. Ainsi là où Daech est un état, Al-Qaida fait figure de « label ».

Ces divergences stratégiques s’expliquent par une fracture générationnelle : les djihadistes de l’EI ont grandi avec la présence d’opérations militaires américaines en Irak. Les combattants d’Al-Qaïda sont plus vieux, ils sont issus des générations qui ont combattu l’URSS en Afghanistan. Cette jeunesse de l’EI explique son attractivité qui permet sa puissance et donc son leadership face à son ainé. Cependant le paradoxe reste que Daech tire sa puissance de ce qui constitue sa faiblesse. Son territoire défini facilite les actions et frappes militaires à son encontre (bien qu’elles soient encore minimales pour contrer l’expansion du califat). Ainsi, Al-Qaida par sa nature de nébuleuse insaisissable ne peut disparaitre, ceci constituant son atout majeur. Là où « l’état » pourrait être reconquis par les peshmergas et les irakiens, Al-Qaida, à l’image de la mythologique hydre de l’Erne, saura toujours se faire repousser une tête.

Vincent QUINTANA

Bibliographie :

* CAILLET, Romain. 08/12/2013. « De la désaffiliation de l'Etat islamique à al-Qaïda », The Huffingtonpost,

* BOITIAUX, Charlotte. 05/09/2014. « Pourquoi l’organisation de l’État islamique séduit plus qu’Al-Qaïda ? », France 24.

* MOREL, Thomas. 23/09/2014. «L'Etat islamique (Daech), plus dangereux qu'Al-Qaïda », Metronews.

* SCHNEIDER, Julie. 12/04/2014. « Avec l'EIIL, "al-Qaida est peu à peu ringardisée" », Le Point.

* 25/02/2014 « Al-Qaïda: un ultimatum à ses rivaux djihadistes », Le Figaro.

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