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ILERI-Défense

Le désengagement de la France d'Afghanistan, une opération délicate

22 Janvier 2012 , Rédigé par ileridefense Publié dans #France

943957-1120924-1-.jpgLa France est un pays souverain et si elle décide de retirer ses troupes d'Afghanistan, elle peut le faire. Et le faire vite : c'est même l'opinion défendue depuis des années par l'auteur de ce blog. Reste qu'une telle opération, pour souhaitable qu'elle soit, n'en est pas moins délicate. A deux niveaux : politique et militaire.

1) La France est présente en Afghanistan dans le cadre d'une coalition, pour apporter sa contribution à l'action de la communauté internationale dans le cadre de résolutions des Nations Unies et en coopération avec un Etat souverain et ami, l'Afghanistan.

Partir en claquant la porte est possible, mais ne serait pas conséquence sur nos relations avec les Etats-Unis, nos partenaires européens et le gouvernement  Karzaï. "C'est au gouvernement français de décider" a reconnu un porte-parole du Pentagone, tout en rappellant que la formation de l'armée afghane était "cruciale". Autant dire que si partons, nous abandonnons une mission "cruciale" aux yeux des Américains. Ce n'est pas forcément grave, mais il faudra gérer l'affaire. Les diplomates sont là pour ça... Reste que nous sommes arrivés là-bas uniquement par solidarité avec les Etats-Unis au lendemain du 11 septembre et que nous avions décidé de partir en même temps qu'eux, selon le calendrier fixé par le prix Nobel de la paix, Barack Obama... 

Comment réagiraient nos alliés européens, également présents sur le terrain ? En profiteraient-ils pour accélerer leur départ, signal d'une quasi-débandade ou au contraire pour critiquer mezzo voce l'attitude de Paris? Une décision unilatérale ne serait donc pas sans conséquence au sein de l'Otan ou sur notre posture en faveur d'une défense européenne.

Rappelons, au passage, que les Britanniques ont perdu 395 hommes, les Allemands 53 et les Italiens 42 en Afghanistan. Au total les pays membres de l'UE ont perdu, à ce jour, 762 hommes sur ce théatre - soit un quart des pertes de la coalition.

Enfin, il faut tenir compte de nos relations futures avec l'Afghanistan : le président Karzaï doit venir à Paris vendredi pour conclure un traité avec la France.


2) Pour complexes qu'ils soient, ces aspects diplomatiques sont moins graves que les aspects purement militaires d'un retrait. Et cela sur deux plans : la sécurité et la logistiquue.

A la guerre, un repli en bon ordre sous les coups de l'ennemi est l'opération la plus complexe qui soit. Les historiens militaires admirent encore le tour de force des Allemands, et notamment de Von Manstein, après la défaite de Stalingrad pour l'évacuation de leurs forces dans le sud de la Russie et en Ukraine. Le contexte est différent : les talibans ne sont pas l'armée rouge... Sauf qu'en Afghanistan, il n'y a pas de front, donc pas d'arrière. N'importe quel convoi logistique, n'importe quel poste est au front ! La menace est partout présente (au coeur même des bases, nous le savons maintenant) et le sera d'autant plus que l'étau se désserrera au fur et à mesure du retrait. La planification tactique d'une telle opération est beaucoup plus complexe que, par exemple, l'entrée en premier sur un théatre.

Outre les risques, la logistique pose un gros problème. Les moyens militaires français se sont progressivement renforcés au fil des ans. Ramener les hommes n'est rien : une quinzaine de vols d'A330 et l'affaire est jouée. Mais il y a le matériel... On estime à 1300 le nombre de véhicules français en Afghanistan, dont un tiers de VAB. Il est sans doute possible d'en laisser un certain nombre en Afghanistan, mais pas les canons Caesar, les VBCI ou tourelleaux téléopérés des VAB, achetés au prix fort... Il y a aussi les munitions et tous les équipement sensibles, sans parler des moyens aériens (hélicoptères, drones et avions).

Or, on ne quitte facilement l'Afghanistan que par les airs. Qui a vraiment envie de traverser le Pakistan ou l'Ouzbekistan, même si cette dernière piste est aujourd'hui explorée ? P

our partir, il faut donc des avions gros porteurs, dont l'Armée de l'Air est dépourvue. Il faudra faire ce que nous avons fait pour apporter le matériel : louer des avions (Antonov 124 ou Ilyouchine 76) pour convoyer le matériel jusqu'aux Emirats d'où il pourra rentrer en France par la mer. Or, des gros porteurs, il n'y en a pas beaucoup sur le marché mondial. A tel point que le contrat Salis qui permettait à la France d'utiliser des avions russes ou ukrainiens a été dénoncé l'an dernier, à la suite d'une augmentation de la facture de 30% ! Sachant que l'heure de vol (prévue longtemps à l'avance) coûtait déjà 25.000 euros...

Bref, les logisticiens ont du pain sur la planche. Pour la France, c'est sans doute la plus grosse opération logistique de l'histoire récente. Reste à espérer qu'elle se déroule en bonne entente avec nos alliés, notamment américains, et dans une sécurité relative.

Photo (DR) : un Antonov 124, gros porteur.
Article: Jean Dominique Merchet, secret défense
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