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ILERI-Défense

"Pour l'infanterie, l'Afghanistan a été une expérience unique"

18 Novembre 2012 , Rédigé par ileridefense Publié dans #France

Un entretien avec le général Wattecamps, commandant des Ecoles militaires de Draguignan et "père de l'Arme" de l'infanterie.



"Pour l'infanterie, l'Afghanistan a été une expérience unique"
Le général Hervé Wattecamps, 53 ans, commande les Ecoles militaires de Draguignan – nées du regroupement, en 2010, de l’Ecole d’application de l’infanterie (Montpellier) et de l’Ecole d’application de l’artillerie (Draguignan).  Saint-Cyrien, Hervé Wattecamps est un fantassin issu des troupes de montagne. Il a notamment commandé le 13ème Bataillon de chasseurs alpins et la 27ème Brigade d’infanterie de montagne. Comme fantassin à la tête des Ecoles de Draguignan, il est le Père de l’Arme de l’infanterie. C’est à ce titre que nous poursuivons avec lui notre grand tour d’horizon de l’armée de terre, après les Forces spéciales, la Légion, l’Alat, le Génie, les Troupes de marine et les Transmissions.

Mon général, qu’est-ce que l’infanterie en 2012 ?
Je revendique toujours pour elle l’appellation de « reine des batailles » ! En effet, c’est avant tout aujourd’hui comme hier l’arme de l’engagement par excellence. Le fantassin est le spécialiste du combat débarqué, où engagement physique, courage et un solide mental sont des qualités indispensables pour faire face au stress et vaincre. C’est là notre métier. 
Nous représentons environ 20% des effectifs des forces terrestres, dont 20 régiments sur les 81 de l’armée de terre – donc le quart d’entre eux. Ces régiments peuvent fournir 80 compagnies de combat, soit une force de 14.000 fantassins. A ces régiments, il faut ajouter toute une série de formations et d’unités de taille variable aussi bien en métropole qu’outre-mer ou à l’étranger. Au total, l’infanterie représente environ 20.000 hommes et femmes.

On se perd un peu dans les différentes appellations de vos unités : il y a des régiments et des bataillons, des chasseurs, de l’infanterie, des régiments étrangers, d’autres de l’infanterie de marine, des paras, des alpins, des tirailleurs, et même le régiment de marche du Tchad…  Cela recouvre-t-il autre chose que des traditions historiques ?
Tous les régiments d’infanterie sont organisés sur le même modèle, dit quaternaire : 4 compagnies de combat (plus une compagnie d’éclairage et d’appui), elles-mêmes organisées en 4 sections, composées chacune de quatre groupes. Globalement tous nos régiments peuvent remplir les missions de l’infanterie même si nous avons conservé des capacités propres : la troisième dimension avec quatre régiments parachutistes (1er RCP, 2e REP, 3e RPIMa, 8e RPIMa), le combat en montagne avec trois bataillons de chasseurs alpins (7e BCA, 13e BCA, 27e BCA) et l’amphibie avec quatre régiments (2e RIMa, 3e RIMa, 21e RIMa et 2e REI).  Nous avons également dans les deux brigades d’urgence, la 11e  BP et la 27e BIM, des unités de commandos de l’ordre de 180 hommes chacune : les GCP (Groupement de commandos parachutistes) et les GCM (Groupement de commandos montagne). Au sein des autres brigades, on retrouve dans chaque régiment d’infanterie une SAED, section d’aide à l’engagement débarqué.

Et l’infanterie traditionnelle, celle qu’on appelait la « Ligne » ?
Ce sont  le 1er RI, le 35e  RI, le 92e RI, le 110e et 126e RI et 152e RI– qui renvoient à l’ancienne infanterie de ligne. Il y a aussi le 1er régiment de tirailleurs, le 16e bataillon de chasseurs et le régiment de marche du Tchad (RMT), porteurs d’autres traditions.

L’infanterie mécanisée et l’infanterie motorisée existent-elles encore ?
Nous n’utilisons plus vraiment ces appellations. Reste que nos vingt régiments ne seront pas tous équipés du VBCI, le véhicule blindé de combat d’infanterie, qui remplace l’AMX-10P et dont les derniers viennent d’ailleurs d’être retirés du service. Seuls huit régiments sur vingt seront équipés de VBCI.

Où en est le renouvellement de vos matériels ?
Globalement, l’infanterie connait un profond renouvellement de ses équipements qui va se poursuivre dans les prochaines années, selon des calendriers propres à chaque programme d’armement. Le VBCI d’abord dont les livraisons seront achevées en 2015. Ce blindé, numérisé et équipé d’un canon de 25 mm, change vraiment la donne ! Avec lui, nous sommes dans le très haut-de-gamme. Le système FELIN – Fantassin à Equipements et Liaisons Intégrés, dit du combattant du futur – entre progressivement en service à raison de quatre régiments par an : il a déjà été engagé en Afghanistan, avec le 1er RI et le 16e BC. Tous les régiments d’infanterie seront équipés du FELIN fin 2015.
D’autres programmes de renouvellement sont en cours : celui du VAB (véhicule de l’avant blindé) qui équipe tous nos régiments. Le VBMR (véhicule blindé multi rôles) devra le remplacer à terme. Même chose pour le Famas, le fusil d’assaut, dont le successeur est à l’étude : il s’agit de l’AIF, l’Arme Individuelle Future, dont l’appel d’offre sera lancé en 2013. Idem pour le fusil FRF2, capable d’appliquer des tirs de précision jusqu’à 800 mètres, ou pour le missile antichar Milan. Ce dernier sera remplacé par le MMP (missile moyenne portée) à compter de 2017, un missile de dernière génération.
N’oublions pas que tout cela se fait dans le cadre de la numérisation de l’espace de bataille (NEB) : schématiquement, c’est le partage de l’information par tous les soldats et systèmes d’armes sur le terrain.

L’infanterie, c’est aussi des formations hors de métropole…
Oui, à la fois dans les DOM-COM et à l’étranger. Il y a par exemple deux régiments d’infanterie en Guyane, très sollicités : le 3e REI et le 9e RIMa. On trouve des fantassins dans le Pacifique (RIMaP-NC), à La Réunion (2e RPIMa) ou à Mayotte (DLEM - Détachement de Légion Etrangère de Mayotte). A l’étranger, à Djibouti (5e RIAOM – Régiment Interarmes d’Outre-Mer), au Gabon (6e BIMa) et depuis peu aux Emirats Arabes Unis (13e DBLE).

Et de nombreuses écoles, centres de formation ou unités spécialisées ?
En effet, par exemple le 132e Bataillon Cynophile de l’Armée de Terre, qui relève de l’infanterie. Outre Draguignan, nous avons deux écoles, l’ETAP (troupes aéroportées) à Pau et l’Ecole militaire de haute montagne (EMHM), à Chamonix, sans oublier le CNEC, le centre national d’entraînement commando de Mont-Louis. Pour les camps et les centres de formation, nous nous réorganisons autour de deux grands pôles : Champagne (Suippes, Mailly, Mourmelon) et Provence (Canjuers). Canjuers est le plus grand camp d’entraînement d’Europe occidentale avec 35 000 hectares. Nous installons dans ces deux pôles le CETIA (Centre d’Entraînement au Tir Interarmes), qui permettra de s’entraîner au combat embarqué et débarqué, grâce à des manœuvres à tirs réels (du niveau de la compagnie, c’est-à-dire 175 hommes) qui se dérouleront sur un parcours de 20 kilomètres. Ce centre d’entraînement au tir est tout à fait unique en France !

Venons-en aux personnels. Est-il facile de recruter des fantassins ?
Pour les cadres, officiers et sous-officiers, la réponse est clairement oui. L’infanterie est une arme très prisée qui attire le haut du classement dans les écoles. Pour les militaires du rang, la situation est plus contrastée : nous avons globalement 1,7 candidats pour 1 poste d’engagé. Ce n’est pas gigantesque, et ce qui nécessite de faire un énorme travail à l’égard de nos jeunes soldats. Mais les résultats sont impressionnants ! La jeunesse qui nous arrive est physiquement assez fragile - elle n’a, par exemple, pas l’habitude de marcher ! Et encore moins avec un sac sur le dos ou en montagne… Mais au bout de quelques mois, ils arrivent à nous surprendre par leur capacité à progresser dans ce domaine et il n’y a vraiment pas de quoi rougir.

Qu’en est-il de la féminisation ?
Beaucoup de postes occupés en majorité par le personnel féminin ont été transféré des régiments d’infanterie vers les bases de défense.  Nous sommes l’arme la moins féminisée : dans les compagnies de combat, le taux de féminisation est de l’ordre de 2% ce qui peut s’expliquer facilement.

L’infanterie semble être une arme extrêmement sollicitée. Que pouvez-vous en dire ?
Nous avons calculé le taux d’engagement de nos compagnies. En 2009-11, il a été de 120% ! Cela signifie que durant ces deux années, toutes les compagnies ont été projetées au moins une fois et parfois deux. Sur le cycle 2011-2013, ce taux, dont la baisse s’explique par notre désengagement d’Afghanistan, restera cependant élevé à 86%.

L’Afghanistan a-t-il changé l’infanterie ?
La quasi-totalité des régiments ont participé au moins une à deux fois à cette épopée qui aura duré une décennie. C’est une expérience unique et l’infanterie n’avait rien connu de tel depuis l’Algérie. Essentiellement en Kapisa et Surobi, ce fut « une guerre des capitaines » – au niveau des SGTIA (Sous Groupement Tactique Inter Armes). Interarmes, car jamais auparavant nous n’avions utilisé ensemble tous les moyens de combat (infanterie, cavalerie, génie, artillerie, drone, moyens aériens…) de manière aussi permanente. Nos jeunes chefs ont été à la hauteur ! A tous les niveaux, tous les grades, on a vu des actes individuels d’une grande bravoure, héroïques, et je pèse mes mots. C’est très rassurant sur ce qu’est la jeunesse de notre pays ! Il est donc clair que l’Afghanistan va marquer durablement l’infanterie, comme toute l’armée de Terre.

Le retour s’annonce-t-il difficile ?
Il va falloir conserver l’acquis opérationnel, dont nous venons de parler. J’ajouterai à ces acquis aussi le sauvetage au combat, c’est-à-dire le secourisme d’urgence sur le terrain, qui nous a permis de sauver des dizaines de soldats. Mais le prochain conflit ne ressemblera pas à celui d’Afghanistan. Il va falloir reprendre certains fondamentaux tactiques qui ont été moins utilisés en Afghanistan : ainsi, il n’y a pas eu de combat de rencontre contre des blindés. Il n’y avait également aucune menace aérienne. Idem pour le NRBC (nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique). Nous ne devons pas être aveuglés par l’Afghanistan, il nous faut reprendre une instruction et un entrainement plus conventionnel pour faire face à tout type d’intervention.
Secret Défense, Jean Dominique Merchet
http://www.marianne.net/blogsecretdefense/Pour-l-infanterie-l-Afghanistan-a-ete-une-experience-unique_a837.html
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