L’arctique, entre nouvelles potentialités et tensions géopolitiques
Etant donné les conditions climatiques et océanologiques extrêmes, l’Arctique a longtemps été délaissé à l’exception d’expéditions scientifiques. Mais, en ce début de XXIème siècle, les effets du changement climatique ainsi que la découverte de ressources naturelles potentiellement importantes bouleversent les équilibres, faisant de cette région l’un des territoires les plus convoités de la planète.
En terme de définition, délimiter la région polaire arctique s’avère complexe du fait de la multitude de définitions. Les géologues, les géographes ou encore les climatologues ont ainsi, chacun une définition différente de ce que l’on peut appeler l’Arctique, et des limites de ce dernier. Eric Canobbio définit l’Arctique, dans son ouvrage Mondes Arctiques, Miroirs de la Mondialisation [1], comme « étant astronomiquement la région bornée par le cercle polaire arctique : 66°33’ de latitude nord. Cette limite commode car stable définit un espace de 21 324 000 km2 « composé, pour les deux tiers de l’Océan Glacial Arctique et pour un tiers, des terres côtières. Cinq pays sont riverains et se disputent la maitrise de cet océan : le Canada, le Danemark (via le Groenland et les Iles Féroé), les Etats-Unis, la Norvège et la Russie.
L’Arctique peut-il représenter un atout majeur pour la Russie ?
I. L’océan Arctique, région d’avenir pour l’exploitation des hydrocarbures ?
Si l’occupation de l’Arctique par la Russie remonte au XVIè siècle avec la fondation du port d’Arkhangelsk, c’est à partir du XXè siècle que la pénétration russe en Arctique s’accélère (Port de Mourmansk crée en 1916) au fil de l’exploitation minière (Vorkouta, Norilsk) puis gazière (Novyi-Ourengoï). La fin de la période soviétique et les années 1990 ont été marquées par une certaine désaffection de la part du gouvernement mené par Eltsine pour cette région, mais la Russie montre de nouveau une attention particulière pour l’océan Arctique en ce début du XXIè siècle. En effet, si la majeure partie de l’Arctique russe est constituée de toundra favorable à l’élevage extensif de rennes, elle devient aussi un enjeu géostratégique majeur pour la Russie, avec de considérables réserves possibles de gaz et de pétrole. Ainsi, en 2008, l’US Geological Survey (USGS) estimait que 30 % des réserves de gaz et 13 % des réserves de pétrole encore à découvrir se trouvaient dans l’Arctique. La mise en exploitation de ces gisements « super-géants » pourrait représenter l’équivalent d’un demi siècle de production actuelle de gaz russe. A cela s’ajoutent potentiellement les minerais présents dans les fonds marins, vitaux pour les technologies futures. Toutefois, il ne faut pas oublier, comme le rappelle Frédéric Lasserre dans son article « Géopolitiques arctiques : pétroles et routes maritimes au cœur des rivalités régionales ? » [2], que les rapports de l’UDGS ne relatent que des hypothèses, la présence potentielle de gisements. De plus, l’USGS estime à 90 milliards de barils de pétrole pour l’ensemble de l’Arctique. En comparaison, les réserves prouvées de l’Arabie Saoudite s’élèvent à 262 milliards de barils. Les gisements potentiels de gaz sont à l’inverse plus élevés que ceux prouvés en Arabie Saoudite ou en Iran, avec 47 261 milliards de m2 pour l’Arctique contre 7 560 milliards de m2 en 2009 pour l’Arabie Saoudite et 26 500 milliards de m2 pour l’Iran.
II. L’Arctique, enjeu d’une nouvelle guerre froide ?
Du fait des possibles réserves importantes en hydrocarbures dans la Région Arctique, les tensions entre les Etats circumpolaires gagnent en importance. C’est dans ce contexte qu’en 2007, un submersible a planté un drapeau russe au fond de l’océan Arctique, au pôle nord, à plus de 4 000 mètres de fonds.
La concurrence est d’autant plus vive entre les cinq pays riverains qu’il n’existe pas d’accord international sur le partage de cette vaste région. Pour régler leurs différends au sujet de l’Océan Arctique, c’est la Convention des Nations Unies sur le Droits de la Mer de 1982 qui s’applique. La Convention attribue par principe à chaque Etats une Zone Economique Exclusive (ZEE) de 200 miles marins soit environ 360 km. Dans cette zone, un navire étranger peut circuler librement, mais l’Etat conserve des droits souverains sur toutes activités économiques en mer comme la pêche également sur les fonds marins pour une possible extraction minière. Au delà des limites de la ZEE, un Etat peut, s’ils parvient à prouver que son plateau continental s’étend au delà des 200 milles marins, revendiquer des droits souverains sur les ressources du sous-sol marins jusqu’à 350 miles marins, soit 620 km. C’est alors une organisation des Nations Unies, la Commission des Limites du Plateau Continental (CLPC) qui examine les preuves géologiques apportées par les Etats. La Russie a ainsi déposé à l’ONU en 2001 un texte indiquant ses revendications concernant une extension de son plateau continental. Mais, fautes d’éléments géomorphologiques concluants, la CLPC a rejeté la demande russe dès juin 2002. Moscou doit donc fournir de nouvelles preuves. Si l’Arctique n’a jamais particulièrement été au cœur des rivalités, la montée fulgurante du cours du pétrole en 2008 a changé la donne, l’exploitation du pétrole ou du gaz dans cette zone devenant plus rentable.
Cependant, alors que l’on croyait les tensions fort présentes entre les Etats, en avril 2010, Oslo et Moscou ont annoncé un accord qui mettait fin à une dispute longue de 40 ans sur le partage de la mer de Barents. Ainsi, cet accord a établit les frontières maritimes entre les deux pays à la hauteur de Spitzberg et de l’Archipel François-Joseph. Cet accord prévoyait une coopération russo-norvégienne dans les domaines de l’écologie et de la pêche. La « course aux appropriations des plateaux-continentaux » n’est ainsi pas totalement fondée. De plus, un point à relativiser est l’importance de ces appropriations du fait des enjeux modérés qu’elle implique. En effet, la plus grande partie, entre 90% et 95%, des gisements se trouveraient, selon les estimations, dans les ZEE incontestables des Etats. Seuls 5% à 10% se trouveraient dans les plateaux continentaux étendus ou au-delà des espaces attribuables en vertu du droit de la mer.
Enfin, si la théorie d’une nouvelle guerre froide est attrayante, elle est d’autant plus irrecevable du fait que la Russie devra nécessairement coopérer avec les Etats occidentaux. En effet, Rosneft, le géant pétrolier russe doit négocier des accords avec de grands groupes étrangers tels que BP, Total et Shell, qui sont capable de lui apporter les moyens techniques nécessaires à l’exploration dans des zones difficiles.
III. La navigation en Arctique : de nouvelle opportunités pour la Russie ?
La fonte des glaces liée au réchauffement climatique permettrait l’ouverture d’une nouvelle voie maritime qui permettrait un trajet plus court entre l’Europe et l’aire Asie-Pacifique. Certains climatologues pensent en effet qu’en 2030, vers la fin de l’été, la banquise arctique pourrait avoir disparu et que l’océan Hyperboréens pourrait ainsi se trouver entièrement libre des glaces. Un tel scénario pourrait ainsi procurer à la Russie de nouvelles ouvertures maritimes lui permettant de faire face à son excès de continentalité. Selon Frédéric Lasserre (cf. Tableau 1), « la route par le Passage du Nord-Est est souvent plus courte que par celui du Nord-Ouest, la route par Suez est souvent plus courte pour les ports méditerranéens vers l’Asie et la route par Panama souvent plus courte pour les trajets entre l’Europe du Sud et la côte occidentale des Etats-Unis. Plus le couple origine-destination se trouve au Nord (par exemple, Rotterdam-Yokohama), plus l’avantage des itinéraires arctiques est manifeste ; en revanche, plus il est méridional (par exemple, Lisbonne-Singapour), moins les itinéraires arctiques présentent de gains de distance significatifs. Rotterdam-Yokohama est ainsi plus court par l’Arctique, mais Rotterdam-Singapour est plus court par Suez. »
Cependant, les avantages en termes de distance sont contrebalancés par des conditions de navigations plus que difficile. En effet, la banquise couvre tout l’océan pendant l’hiver, mais elle peut se retirer pendant le « jour » polaire (21 juin - 21 décembre) et particulièrement entre le 15 aout et le 15 septembre. De plus, il est très difficile de prévoir quelles zones seront bloquées par les glaces. En effet, la banquise ne couvre pas les mêmes lieux chaque années, ainsi, certaines années, la mer de Sibérie orientale reste glacées (1998, 2000), d’autres années, elle est entièrement dégagée (1990). L’impossible prévision perturbe de manière considérable la programmation de la navigation par le Passage Nord-Est et son déroulement. De plus, si parfois la banquise se retire, des plaques de banquise dérivantes de plusieurs centaines de mètres de large persistent, obligeant un détour. Enfin, des prises en glaces peuvent survenir inopinément. Ainsi, un pétrolier chargé de 5 000 tonnes d’hydrocarbures est entré en collision avec la glace le 4 septembre 2013 et s’est retrouvé immobilisé près du port de Khatanga.
La circulation en Arctique n’est alors possible que grâce à l’aide de brise-glaces à propulsion nucléaire qui permettent d’ouvrir un chenal de 30 à 33 m de large. Cependant, la plupart des navires assurant les services internationaux sont plus large, la présence d’au moins 2 brises glaces nucléaires est nécessaire à la traversée. La Russie ne disposant que de 8 brise-glaces de ce type, l’organisation de la traversée ne pourra s’organiser qu’en convois. Mais, la vitesse de croisière derrière les brises glaces varie entre 2 et 6 nœuds selon l’épaisseur de la glace ce qui diffère largement de la vitesse de 25 nœuds normalement employée par les portes conteneurs entre l’Europe et l’Asie. Ainsi, si la route de l’Arctique s’est développée au cours des dernières années passant de 18 navires en 2011 à 71 en 2013, le trafic est encore bien loin des 20 000 navires passant par Suez chaque années.
Dans ce cas, on peut se demander quels sont les intérêts qu’ont les Etats circumpolaires et notament la Russie à revendiquer leurs parts de l’Arctique ?
Sur le plan de l’aménagement du territoire, l’ouverture d’une possible voie maritime permettrait l’insertion des régions arctiques de la Russie qui sont aujourd’hui peu peuplées. De plus, les nombreux fleuves présents dans ces régions peuvent permettre de relier les axes de communication, les chemins de fer et les transports maritimes. Ainsi un désenclavement du Grand Nord est possible.
Enfin, sur le plan militaire, alors que de nombreuses installations militaires ont été démantelées lors de la chute de l’URSS, les enjeux énergétiques et économiques relancent l’intérêt de la présence militaire de la Russie dans cette région. Ainsi, Vladimir Poutine, l’actuel président russe, disait lors d’une réunion au ministère de la défense en 2013 que : « La Russie s'investit de plus en plus dans cette région d'avenir, y revient et doit y disposer de tous les leviers pour assurer sa sécurité et défendre ses intérêts nationaux. »
Rédigé par Inès DAJON-LAMARE
Pôle Russie-CEI/Eurasie
Bachelor 3 - ILERI
[1] CANOBBIO Eric, Mondes Arctiques, Miroirs de la Mondialisation, La Documentation Française, Documentation photographique, 2011
[2] LASSERRE Frédéric, « Géopolitiques arctiques : pétrole et routes maritimes au cœur des rivalités régionales ? », Critique internationale, 2010/4 n° 49, p. 131-156.
BIBLIOGRAPHIE :
LASSERRE Frédéric, « Géopolitiques arctiques : pétrole et routes maritimes au cœur des rivalités régionales ? », Critique internationale, 2010/4 n° 49, p. 131-156.
LASSERRE Frédéric « La stratégie russe en Arctique : à la recherche de la grandeur passée ? », Diplomatie, Les grands dossiers n°21, Juin-Juillet 2014
LECLERC Arnaud, La Russie puissance d’Eurasie, Histoire géopolitique des origines à Poutine, Ellipse, Octobre 2012
MARCHAND Pascal, « La Russie et l'Arctique » Enjeux géostratégiques pour une grande puissance, Le Courrier des pays de l'Est, 2008/2 n° 1066, p. 6-19.
MARCHAND Pascal, Géopolitique de la Russie, Une nouvelle puissance d’Eurasie, puf, collection MAJOR, Avril 2014
THOMAS Romain, Russie et Caucase, Jeux d’influence et nouveaux défis, Ellipse, Août 2013
THOREZ Pierre, « La Route maritime du Nord » Les promesses d'une seconde vie, Le Courrier des pays de l'Est, 2008/2 n° 1066, p. 48-59.