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ILERI-Défense

En Afghanistan, les Occidentaux ont été confrontés aux limites de leur puissance

10 Janvier 2015 , Rédigé par ileridefense Publié dans #France, #Proche-Orient- Moyen-Orient- Monde Arabe, #Occident, #Amérique du Nord, #Europe

Le 10/01/15

(Article précédemment paru dans l'Opinion du 29/30 décembre)

La guerre d'Afghanistan n'est pas terminée, mais la fin de la «mission de combat» de l'Otan dans ce pays marque une étape importante dans l'histoire des interventions militaires occidentales. L'occasion de dresser un premier bilan, en demi-teinte.

Première leçon : personne n'a gagné la guerre

En octobre 2001, les Américains et leurs alliés européens sont arrivés en Afghanistan, avec l'accord des Nations unies, afin d'y combattre le terrorisme au lendemain des attentats du 11-Septembre. En quelques semaines, ils sont parvenus à détruire le régime taliban qui hébergeait Al-Qaïda, poussant ses dirigeants à la fuite. Mais ce faisant, les Occidentaux plongeaient au cœur d'un autre conflit, purement afghan celui-là. Car, depuis le coup d'Etat communiste de 1978, une guerre civile ravage le pays, opposant des Afghans à d'autres Afghans. Cette longue guerre présente deux caractéristiques qui la rendent difficilement compréhensible à l'étranger. D'abord, les camps se recomposent régulièrement, les alliés d'hier pouvant devenir les ennemis de demain, et inversement. Ensuite, chaque partie en présence fait appel à des forces étrangères (tour à tour soviétiques, américaines, djihadistes, pakistanaises, etc) pour combattre d'autres Afghans. L'intervention étrangère nourrit alors la guerre qu'elle est censée contribuer à éteindre. Cette mécanique infernale est à l'œuvre depuis 37 ans et 13 ans d'intervention occidentale n'ont pas changé la donne.

La situation n'est pas stabilisée, ni militairement, ni politiquement. Les talibans et leurs alliés, comme le groupe Haqqani ou le Hezb-e-Islami, n'ont pas déposés les armes. Les affrontements se poursuivent et la capitale Kaboul connaît des attaques terroristes comme celle qui a touché le centre culturel français le 11 décembre. Le mollah Omar, dirigeant des talibans, n'est toujours pas réapparu, on le dit installé à Karachi. Alors qu'en Syrie et en Irak l'Etat Islamique (Daesh) tente de rallier des groupes djihadistes à sa cause, le mouvement taliban s'inscrit essentiellement dans une logique nationale, et non dans une internationale islamiste.

En face, le camp antitaliban reste profondément divisé, comme l'ont montré les élections présidentielles du printemps 2014. Il a fallu que Washington exerce une pression considérable pour que les deux finalistes acceptent de se partager le pouvoir, Ashraf Ghani comme président et Abdullah Abdullah comme Premier ministre. La cohabitation difficile entre les deux hommes – et leurs réseaux – entrave le bon fonctionnement des autorités gouvernementales.

Deuxième leçon : la régime pro-occidental peut tenir

S'il ne peut pas prétendre contrôler l'ensemble du territoire et assurer une parfaite tranquillité, le régime mis en place par les Occidentaux après 2001, ne devrait pas s'effondrer rapidement. Le précédent soviétique incite à l'optimisme. Lorsque l'Armée rouge a quitté l'Afghanistan en février 1989, progressivement et dans le cadre d'un accord international, elle a laissé derrière elle un régime et une armée prorusse, dirigés par le docteur Najibullah. Avec le soutien logistique et financier du Kremlin, il a poursuivi la guerre contre les «Moudjahidines» (combattants anticommunistes) jusqu'à son effondrement en avril 1992 – soit pendant plus de trois ans. Son échec est essentiellement dû à la disparition de son principal soutien, l'Union soviétique...

A leur tour, les Occidentaux laissent derrière eux à la fois un régime et des forces de sécurité. L'armée et la police comptent environ 350.000 hommes. Leur formation et leur entraînement ont été assurés depuis des années par les troupes alliées, y compris françaises, du niveau des unités élémentaires jusqu'aux états-majors. Si ces forces ne peuvent se comparer, techniquement, à celles de l'Otan, leur combativité est jugée bonne par les observateurs militaires. Depuis des mois, ce sont elles qui assurent l'essentiel des opérations. Le départ des Occidentaux ne bouleversera pas la donne... d'autant qu'ils ne partent pas vraiment. Quelque 12.500 hommes restent dans le cadre de l'opération Resolute Support, qui succède à l'Isaf – International Security Assistance Force. Ils ont pour tâche de «former, assister et conseiller les forces et institutions afghanes». Parallèlement, l'armée américaine maintiendra un contingent de forces spéciales et de moyens aériens, qui pourront agir de manière autonome.

Enfin, les Occidentaux vont devoir financer l'Etat afghan dans les prochaines années : dans l'immédiat, un spécialiste de l'aide au développement estime qu'il faut «huit milliards de dollars de cash pour l'Afghanistan, sinon le pays saute».

Troisième leçon : les Occidentaux ont touché aux limites de leur puissance militaire

En Afghanistan, les Américains et l'ensemble de leurs alliés de l'Otan et hors Otan (Australie, Géorgie, Suède, etc) n'ont jamais pu déployer plus de 150.000 hommes en même temps. C'est quasiment le même chiffre que pour l'Irak. 150.000 hommes représentent le maximum que les Occidentaux sont capables d'engager, pour une durée de quelques années, sur un théâtre d'opérations extérieures. C'est peu : quatre fois moins que la seule armée française durant la guerre d'Algérie, et à peine 5% de leurs effectifs militaires totaux. C'est surtout insuffisant pour contrôler des territoires aussi vastes et des populations aussi nombreuses. A cette incapacité structurelle à déployer des armées nombreuses s'est ajoutée la concurrence dommageable de la guerre d'Irak. A peine engagés en Afghanistan (octobre 2001), les Etats-Unis ont préparé leur invasion de l'Irak (mars 2003), négligeant le premier théâtre, au moins jusqu'en 2005-06.

Non seulement, les Etats-Unis n'ont pas pu mener de front ces deux conflits, mais ils n'ont jamais su vraiment quelle guerre conduire en Afghanistan, hésitant entre deux stratégies : le contre-terrorisme et la contre-insurrection. Le premier nécessite peu de moyens humains, mais très sophistiqués : beaucoup de renseignements, des forces spéciales, des armes de précision. Il s'agit de considérer le pays comme un terrain de chasse sur lequel on traque et tue les «terroristes» – quel que soit l'effet psychologique sur le population. La contre-insurrection vise l'exact contraire : conquérir «les cœurs et les esprits» de la population, en espérant qu'elle rejettera les insurgés. Elle nécessite des effectifs militaires importants, présents sur le terrain et allant au contact des civils. Ces deux manières de faire la guerre s'emboîtent mal l'une dans l'autre : le jour, des militaires étrangers viennent faire copain-copain avec force matériel scolaire, engrais et vaccins et la nuit, d'autres débarquent en faisant sauter les maisons pour «kill or capture» (tuer ou capturer) un responsable ennemi... Si un nombre considérable (et inconnu) de cadres djihadistes et talibans ont été éliminés en treize ans de guerre, le vivier de recrutement n'a manifestement pas été tari. C'est, en cela, un échec. La plus grande réussite des Occidentaux est sans doute d'avoir mis sur pied des forces de sécurité afghanes, dont il faut espérer qu'elles se comporteront mieux que l'armée irakienne, elle aussi issue d'un programme de formation comparable mais qui s'est débandée lors de l'offensive de Daesh durant l'été 2014.

Les pays occidentaux, en particulier leurs opinions publiques, ont globalement fait preuve de résilience face aux pertes militaires : 3485 soldats occidentaux tués (dont 2356 Américains et 89 Français) et des milliers blessés, parfois handicapés à vie, n'ont pas fait ciller la détermination à combattre, même lorsque les populations s'interrogeaient sur le sens de cette guerre lointaine.

Quatrième leçon : l'échec du «nation building»

Le succès des opérations militaires est un préalable nécessaire mais pas suffisant. L'engagement armé doit être accompagné et suivi d'actions civiles de même ampleur, dans le domaine politique et économique. On est loin du compte, en dépit du déploiement considérable mais guère efficace de l'aide internationale. Serge Michaïloff, ancien directeur à la Banque Mondiale et bon connaisseur de l'Afghanistan fait, à cet égard, un bilan désabusé : «Les donateurs financent ce qui plaît à leur opinion publique, la santé, l'éducation, demain l'environnement, mais pas ce qui correspond aux besoins prioritaires, comme la reconstruction d'institutions régaliennes ou le développement rural. On constate aussi que l'aide va là où sont les combats, comme s'il y avait une prime aux insurgés alors qu'il faudrait privilégier les zones calmes».

La question de l'après-guerre est essentielle. On l'a vu en Irak, où l'échec de la reconstruction politique après 2003, a contraint les Américains et leurs alliés à se réengager militairement. On le voit en Libye, où aucune solution politique ne se dessine depuis l'intervention militaire alliée contre Kadhafi. Ces échecs, ou semi-échecs dans le cas afghan, ne sont sans doute que le produit d'une ambition démesurée, celle de croire que l'Occident est capable de reconstruire des nations («Nation Building»). Entre l'hubris et l'abstention, entre l'hyperpuissance et l'impuissance, «notre» guerre d'Afghanistan, comme les autres conflits dans lesquels les pays occidentaux sont engagés, pourrait être une école de réalisme et de modestie.


De : Jean-Dominique Merchet

Source : lopinion.fr

http://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/en-afghanistan-occidentaux-ont-ete-confrontes-aux-limites-leur-puissance-19983

Relayé par P.F

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